EPISODE 2: Première méditation, première nuit au centre
Nous sommes toujours le premier soir, il est 18h et la première méditation va débuter.
Le hall de méditation est à quelques mètres du bâtiment B où se trouvent le réfectoire, les sanitaires et le dortoir. Il fait déjà nuit alors que nous attendons devant le hall de méditation que les anciennes étudiantes commencent à s’installer. La pleine lune nous éclaire et quelques étoiles scintillent dans un ciel noir et dégagé. Nous finissons par entrer dans le vestiaire, déposons manteaux et chaussures, puis choisissons parmi un large choix de coussins et châles de méditation. Confiante concernant mon assise, je prends juste un châle, ma brique habituelle devrait suffire. Un autre numéro nous est attribué pour nous placer dans la salle, je suis I1 et Valérie H8, a une ligne d’intervalle, elle à l’extrême droite du carré des femmes, moi à l’extrême gauche au bord de l’allée centrale qui nous sépare du carré des hommes.
Je commence déjà à observer mon esprit qui compare, qui juge, qui attribue des étiquettes à ces personnes qui m’entourent et que je ne connais pas. Parmi les hommes, puisque j’ai vu sur le camps adverse, j’observe tout de suite les postures et prend pitié de ceux qui s’arrondissent déjà après quelques minutes. Face aux 2 carrés de 80 hommes et 80 femmes. Assis sur un promontoire, un homme et une femme d’un certain âge nous font face. J’imagine qu’ils vont guider la méditation.
Après quelques minutes consacrées à l’installation, nous fermons les yeux. Retentit alors un audio de S.N.Goenka qui s’apparente à un chant. La voix m’est immédiatement très désagréable, il ne se dégage pas immédiatement de mélodie, des pauses laissent espérer une fin, mais le chant reprends pendant une durée indéterminée qui me semble une éternité. Mon mental s’agite « c’est une blague ? J’espère que ça va pas être ça à chaque fois » Une part de moi a envie de rire, une autre est touchée par une forme de respect face à quelque chose de sacré qui semble se dire dans le chant.
Ma posture confortable au début l’est de moins en moins. Après le chant qui s’arrête enfin, la même voix parle en anglais, toujours avec des intonations inhabituelles, un rythme décousu, quelque chose de théâtrale qui m’irrite un peu. Je comprends 2 mots sur 4. Mes pieds sont maintenant très engourdis et une douleur s’installe dans ma nuque à droite. Elle irradie dans l’épaule et l’omoplate. Je ressens de plus en plus d’inconfort, quand c’est au tour de la traduction en français qui donne les instructions pour la méditation. Le style est très différent mais m’irrite aussi. J’essaie pour autant avec application de suivre les consignes.
Je tente désespérément de sentir l’air toucher l’espace sous les narines, une fois de plus j’en suis irritée.
Réaction, réaction, réaction… Mon mental passe son temps à être en réaction à tout ce qui arrive, je sens que cela se traduit dans mon corps par une tension croissante. La peur et le doute en profitent pour s’inviter à la fête ! « mais qu’est ce qui t’a pris ? Pourquoi est ce que tu t’infliges des trucs pareils ? »
Le mental commente « c’est n’importe quoi, rester assis des heures durant, ça ne peut pas être bon pour le corps, il a besoin de mouvements » alors je bouge, je m’agite, je change de position, rechange, rien n’y fait. Je sens des impatiences dans mes jambes, elles tressautent, ce qui est extrêmement désagréable. « mais quand est ce que ça va s’arrêter ? C’est un cauchemar » j’entrouvre les yeux pour regarder les autres, ils ont l’air parfaitement calmes et concentrés. Cela décuple mon agitation intérieure et ajoute la honte à la peur et au doute « ah ben bravo la prof de yoga ! Vive la France ! 15 ans de pratique et pas foutue de s’asseoir pendant une heure !!! » Je suis à deux doigts de l’implosion quand la voix du début retentit de nouveau « ah enfin ! Cela signe sans doute la fin de mon supplice…
Mais les chants durent, durent, durent, tous plus irritants les uns que les autres. A l’intérieur je ne suis que frustration, colère, agacement. C’est la première méditation et j’en ai pris pour 10 jours ! Au rythme de 8 méditations par jour, cela signifie qu’ils m’en reste environ 80, ce qui correspond à un peu plus de 100h de torture, 6000 minutes de souffrance. Reste à savoir à quel moment je finis en psychiatrie ?
Autant dire que je sors de cette première méditation en pleine forme !!! Le silence à commencé donc pas même une oreille compatissante pour m’épancher. Aucun moyen de savoir si on est d’accord que le chant est une folie !!! Que ce n’est pas possible d’endurer ça !!! J’emmène ma révolution intérieure avec moi et l’urgence de vite dormir car le réveil à 4 heures du mat va piquer sérieusement !
Je me couche rapidement avec l’intention de fuir dans un sommeil profond mais, impossible de fermer l’œil. Dans le dortoir un combat de ronflements fait rage. Là encore, je tourne frénétiquement, droite, gauche, jambe fléchie, tendue, dos, ventre, encore des impatiences dans les jambes. Si je ne dors pas, ça va sûrement être pire ! Il faut que je dorme ! Il faut que je dorme ! Et en plus j’ai oublié ma montre, pas moyen de savoir l’heure, il doit être déjà hyper tard ! Je continue de tourner en boucle dans ma tête et dans mon corps, quand tout a coup un bruit de pas, quelqu’un va à la douche ? Je me lève d’un bond et fonce en direction des sanitaires. Personne. Je prends tout de même ma douche, après tout, ce sera fait, maintenant que je suis debout ! En ressortant, une idée lumineuse me traverse. Aller voir l’horloge du réfectoire. 3H20. Sans commentaires, y a pas de doute ça commence hyper bien.
Bon, on avait dit pas de yoga mais que faire pendant une heure avant la méditation ?
L’espace entre le lit et la planche de bois est pile poil de la taille d’un tapis. Bien sûre je n’ai pas de tapis mais il y a sur mon lit une couverture polaire qui devrait faire l’affaire. C’est parti pour mes salutations au soleil alors qu’il fait nuit noire. Je mixe un peu avec une salutation à la une du coup. Et puis je prépare mes hanches et mon dos à l’assise qui va suivre. Le yoga me redonne un peu de baume au cœur et d’énergie, mon esprit se calme. C’est décidé, je pratiquerai tous les jours. Tant pis pour l’interdiction. Après tout qui a dit que j’étais obéissante ? Et puis, c’est ça ou la psychiatrie…
