EPISODE 3 : première journée
Le Gong retentit enfin à 4h pour le lever et de nouveau à 4h20 pour nous indiquer de nous diriger vers le hall de méditation. Je ressens un mélange d’appréhension et de détermination. J’avais fait la maline hier soir en ne prenant que ma brique pour m’asseoir. Cette fois, je prends le stock de coussins ! Au diable l’égo ! C’est une question de survie ! Et la survie c’est mon domaine ! Je sens monter en moi l’énergie du défi. Je suis désormais en mode warrior. Après tout ce que j’ai traversé, c’est quand même pas le fait de devoir rester assise 2h en silence qui va me faire peur !
J’installe donc les coussins, méthodiquement, stratégiquement, en cherchant l’inspiration autour de moi, histoire de voir comment ont fait les autres. Pas un n’est installé pareil. Certains ont pris un stock de coussins complètement délirant. Je me sens moins seule ! Je m’assois dans le plus grand confort possible. Pas de musique cette fois. Je pense en moi même : « déjà un calvaire de moins ».
Au bout de quelques minutes et déjà plusieurs repositionnement, nouvelle attaque du mental, l’ennui cette fois ! Je n’en peux plus d’observer ma lèvre supérieure sur laquelle il ne se passe absolument rien ! Le temps s’étire, s’étire, s’étire. Et moi j’aimerais bien m’étirer aussi, ou bien me tirer carrément ! Non aller courage ! Je peux le faire !
Voilà que deux parts de mon mental se manifestent maintenant ! Elles ne sont pas d’accord. Ça m’occupe un moment. Écouter les arguments de l’une et l’autre me divertit de l’ennui et des douleurs. Ah oui, au fait ! ma respiration, l’impact au dessus de la lèvre supérieure, c’était ça la consigne ! J’y reviens. Mon mental reprend le dessus… et de nouveau, j’y reviens… Sur ces entrefaites, le chant reprend me tirant brusquement de mon alternance entre conscience et mental. Oh cette voix ! C’est impossible ! Je ne vais pas supporter ça tous les jours ! Et ça n’en finit pas … à chaque silence j’espère et chaque fois ça reprend, c’est interminable… c’est comme ces expériences qu’on redoute et qui reviennent sans cesse.
Et puis, le moment vient « sadou sadou sadou » c’est le signal pour enfin quitter la posture, retrouver le silence, retrouver l’extérieur. Je sors comme après un emprisonnement encore chargée de ce vécu compliqué… je croise dans les toilettes mon visage déformé par une expression grave, comment tenir ? Me voilà dans une belle galère… Heureusement, l’idée d’un petit déjeuner me redonne un peu de joie.
Rien de ce qui est proposé ne correspond à ce que je mange d’habitude mais qu’importe, à la guerre comme à la guerre (aurait dit ma mère)… la perspective d’une sieste juste après me ravit. J’ai une heure avant la prochaine méditation. Je m’endors immédiatement et me réveille avec un peu plus d’énergie. Le gong. Il faut déjà retourner s’asseoir. Il n’est que 8h et je suis au bout de ma vie ! Cette journée promet d’être longue !
Je prends encore de nouveaux coussins, mon esprit agité veut trouver une solution pour m’épargner tant d’inconfort. Je m’assoie avec encore plus de confort, place mon mudra, ferme les yeux et de nouveau : Le chant qui me fait péter les plombs. Je crois qu’il va falloir que je m’y fasse, mais cela me semble hors de portée. Cette seconde méditation est toujours aussi difficile. Dans les consignes du début de méditation, il est question d’impermanence et d’équanimité. Tout passe ! Ce à quoi mon mental répond « oui mais là c’est bien là ! Et comment je fais là, tout de suite avant que ça passe ?» et l’autre part lui répond « patience ! Observe ! Lâche ! » Ça y est le débat reprend entre les deux qui ne sont jamais d’accord. Entre deux commentaires je reviens observer ma respiration toujours supposée générer une sensation au dessus de la lèvre supérieure. Je sens rien, ça m’énerve ! « et puis à quoi ça sert franchement ? Qui a eu cette idée à la con ??? Ah oui ! Bouddha. Bon, j’essaye encore, mais mon mental commence à vraiment occuper tout l’espace» Quand la méditation se termine, je sors comme une flèche !
Direction la forêt, je sens immédiatement que c’est elle, mon refuge ici, je déambule entre les arbres retrouvant les sensations agréables de mon corps en mouvement, je retrouve l’apaisement, j’observe émerveillée le jour qui s’est levé. C’est beau, c’est calme. Les couleurs, les odeurs, le bruit des feuilles mortes sous mes pas, j’en profite comme du dernier repas d’un condamné, je me remplis car je sais que dans quelques minutes le gong va retentir et il faudra y retourner. Je remercie la nature du réconfort qu’elle m’apporte, je sais qu’avec son soutient je vais tenir !
Retour dans la salle, tout le monde retrouve sa posture. Cela m’aide de ne pas être seule. La longue fille brune devant moi est très agitée elle aussi, encore plus que moi… cela me rassure. C’est reparti ! Les chants, les consignes et là ! La proposition : « vous pouvez continuer de méditer ici dans le hall ou aller méditer dans vos chambres » Mon ciel sombre s’éclaircit, ma chambre ! La perspective d’un yoga. Je ne demande pas mon reste, une impression de liberté soudaine m’envahit, une once de culpabilité aussi, mais on verra ça plus tard : SURVIVRE est ma priorité. Je m’offre même un petit détour en forêt avant de rejoindre le dortoir, histoire de me délecter de cet espace de liberté inattendu. De retour dans ma chambre j’enchaîne les postures de restauration : les pieds au mur, flexion arrière sur brique, libération des hanches… mon corps se ressource. Une petite heure de yoga avant le repas, c’est parfait !
Au gong, tout le monde se dirige vers le réfectoire, le buffet est varié et appétissant. Une cuisine simple végétarienne, des crudités… Ce moment est un pur bonheur ! En plus la prochaine méditation n’étant qu’à 13h, j’aurais le temps d’une nouvelle sieste.
La journée se poursuit ainsi, entre des temps de méditation difficiles et des espaces de liberté ressourçants qui me rassurent. Je ris de moi, venir à un stage de méditation, et passer mon temps à esquiver et à redouter chaque temps de méditation. Suis je la seule a être à ce point incohérente ?
Ça va à peu près jusqu’au marathon du soir, 3h de méditation avec de courtes pauses entre chaque. La dernière est vraiment un supplice. J’en ressort épuisée avec une seule idée, dormir. Cette fois, je tombe comme une mouche dans un sommeil profond.
