EPISODE 4 : Le switch
J’ai dormi comme un bébé, cette fois, jusqu’au Gong de 4h qui m’a fait bondir hors de mon lit. Douche. Yoga. C’est reparti !
4h30 : je m’installe sur mon tapis de méditation et sens mon esprit plus concentré, plus calme. J’écoute attentivement les consignes et m’applique à les respecter. Au bout de quelques minutes à observer avec vigilance l’air qui entre et sort de mes narines, j’entre dans un état très inhabituel, ma respiration devient extrêmement calme faisant à peine bouger mon thorax, mon mental s’est tu (ce qui n’est pas son genre), mon corps a comme disparu. C’est comme si en moi tout s’était arrêté pour observer quelque chose que je ne vois pas mais que je pressens, quelque chose de très rare.
Le temps est suspendu, je ne veux surtout rien faire qui pourrait briser la magie, j’ose à peine déglutir. Il n’y a plus d’agitation, aucune réaction, juste ma présence attentive à une sensation inédite. Aucune douleur, aucun effort à fournir, je ressens une forme de fascination face à ce qui est en train de se vivre dont je ne me sens absolument pas responsable mais simple spectatrice. Je suis totalement absorbée dans cette sensation d’extase quand le chant retenti. Déjà ? Whaaa. Mais ça fait à peine 5 minutes !
En réalité 2h sont passées. Je commence a entrevoir que tous les méditants ne sont pas des Sado-masos. Whaaaa ! Même le chant me paraît plus supportable, il passe comme une lettre à la poste, je crois qu’à cet instant tout pourrait passer ! Whaaaa j’ai l’impression de ne pouvoir mentalement prononcé que Whaaaa. J’ai perdu les mots. Ce qui tombe plutôt bien puis qu’ici, ils ne me sont d’aucune utilité !
Je quitte cette méditation avec une nouvelle perspective. Déjà, j’ai dormi et ça c’était tellement top ! Mais là, cette expérience, c’était juste dingue. Vivement la prochaine !!!
Cette seconde journée se déroule dans les faits comme la précédente, à ceci près que je connais le programme, pas en théorie, ça je l’avais déjà ! Mais je l’ai vécu et j’y ai survécu. Je connais les contraintes et j’ai identifié les espaces de ressourcement. Je sais que tout ira bien.
Je sens que certaines résistances sont tombées laissant un espace d’accueil plus grand. Durant la méditation suivante, je sens poindre l’attachement à ce qui s’est vécu le matin. Comment ne pas vouloir retrouver cette sensation ? Mon mental se remet à s’agiter, le « je veux y retourner » prend toute la place et bien sûr, je n’y retourne pas. La méditation retrouve donc son caractère difficile, long et douloureux. Je décide de prendre mon mal en patience . Je me répète que tout passe et m’efforce d’accueillir ce qui est là, même si, on ne va pas se mentir, le souvenir de la sensation d’extase me poursuit, et que le désir de la retrouver est très présent. Je décide d’accueillir aussi ça !
Les enseignement quotidiens sur le Dhamma, les notions d’équanimité et d’impermanence me soutiennent beaucoup. Bien sur, elle ne sont pas nouvelles car cela était aussi abordé dans l’enseignement du yoga, mais là… répétées en boucle et expérimentées physiquement durant les méditations, je sens qu’elles viennent s’intégrer encore un peu plus profondément.
Durant le discours du soir, temps dédié plus longuement à l’enseignement du Dhamma, je sens que mon mental se crispe. J’ai du mal avec les superlatifs employés. Le « merveilleux Dhamma » supposé être « La solution à Toutes les souffrances ». Cette tendance à l’exagération discrédite, selon moi, le discours qui pourtant, est plein de bon sens à d’autres endroits. J’essaie de passer outre cette crispation mentale pour accueillir ce qui fait sens. Le dernier jour, une histoire sera partagée qui traduit à la perfection cette stratégie.
« Il s’agit d’une mère qui prépare un délicieux dessert Indien à son petit garçon. C’est un dessert à base de lait et d’épices. Quand elle le lui apporte l’enfant voit des choses noires dedans qu’il prend pour des cailloux et refuse le dessert. Elle a beau lui expliquer que c’est de la cardamone et que c’est délicieux, l’enfant refuse fermement. Alors la mère lui propose : écoute, je comprends ta réticence mais tu ne devrais pas te priver de tout le dessert à cause de ces choses qui te dérangent. Retire les et régale toi du reste. Peut être un jour, tu accepteras d’y goûter et à ce moment là, tu verras. »
C’est exactement ce que je fais, j’ ôte les cailloux noir du discours pour ne conserver que ce qui me semble bon pour moi. Je sais par expérience que ce que j’ai trouvé insupportable il fut un temps, a ensuite, occupé la plus grande place dans ma vie, c’est le cas du yoga.
Pas question donc que je laisse la vision de quelques cailloux noirs me priver d’un délicieux dessert.
La journée passe. Exactement pareille que la veille, à ce détail près que ma posture et mon regard sur ce qui s’y passe sont à l’opposé. Je la traverse avec une sorte de béatitude qui me questionne beaucoup.
Comment une même personne, peut elle vivre à une seule journée d’intervalle, deux expériences en tout points similaires, avec un ressenti aussi différent ? Ce constat me laisse d’autant plus perplexe que j’ai conscience de n’avoir décidé de rien. Je me dis que prendre la main sur ce switch mental est un pouvoir incroyable.
Je n’en suis pas là. Je savoure donc simplement avec humilité le switch qui m’a été offert. J’ai une pensée pour celle que j’étais hier, qui se débattait avec ses douleurs, ses doutes, ses peurs, ses jugements… Tant de souffrance et d’impuissance ! Je me dis, « je suis aussi cette personne, mais je ne suis pas que ça », et cette pensée est comme une douche chaude, comme un verre d’eau quand on a soif, c’est doux et réconfortant. Je me couche avec ça et une petite crainte… Qui se réveillera demain dans mon corps ???
